Le premier mérite des oeuvres de Robert Viola réside sans doute dans leur volonté de dissiper bien des idées reçues. Le travail du peintre ne se double pas ici d’un discours vainement idéologique ou vaguement écologique. Le seul fait, en effet, de représenter des édifices industriels liés aux paysages dans lesquels ils se sont implantés, ne constitue pas en lui-même une critique de la société industrielle ou post-industrielle, ni même un constat amer et désabusé du déclin de la sidérurgie d’une certaine région. Viola se garde d’émettre un quelconque jugement facile, et ce faisant il ne peut pas éviter une certaine fascination pour des éléments d’architecture si caractéristiques des temps modernes. En tant qu’archétypes d’une civilisation, les bâtiments industriels sont à mettre sur un pied d’égalité avec les pyramides des Egyptiens ou les temples des Incas. C’est ainsi que le commentaire artistique du peintre pourrait relever du domaine de l’anthropologie sociale. En intégrant dans ses tableaux des mots en grands caractères tels que « totem », « monument », « rituel », »temple », « industrie », « Babylon », « puissance », en reprenant des schémas du langage industriel et économique, son travail semble à première vue lourdement démonstratif. En désignant tout simplement des usines comme des temples modernes, l’artiste ne commet-il pas l’erreur de poser des équation simplistes? A vrai dire, la démarche de Viola est autrement plus intelligente. En empruntant au langage industriel sa propre calligraphie, en utilisant les mêmes types de caractères, l’artiste établit en fait un discours truqué, celui de la civilisation industrielle qui croit pouvoir se targuer du même pouvoir culturel que celui des grandes civilisations disparues depuis des siècles. Méconnaissant le fait que la civilisation industrielle est vidée de toute signification transcendante par sa pure fonctionnalité, que le caractère sacré des anciens édifices n’est remplacé que par la vacuité matérialiste, et que la spécificité, l’originalité, l’inimitable des grandes cultures du passé sont aujourd’hui évincées par un nivellement général et l’uniformisation de l’architecture mondiale à l’échelle d’un village planétaire, ce discours se révèle n’être qu’une grande mystification.
En démystifiant le discours industriel, l’artiste parvient à créer son propre mythe parallèle dans l’oeuvre d’art, en transformant à son tour, comme dirait Roland Barthes, l’Histoire en Nature. Robert Viola ou la démystification des clichés de certaines tendances dans l’art actuel.
François OLIVIERI