L’art de Robert Viola est un art qui accroche et qui détourne. Un art séduisant d’abord qui capte l’œil par une image qui frappe et qui persiste, par un ensemble de connotations qui assaillent la réflexion ensuite.
Toute la démarche de Viola se développe dans un perpétuel déplacement du regard dans le champ des apparences. L’image au premier plan est constamment remise en place par une texture dense qui marie avec bonheur l’iconographie à l’écriture.
Si le propos de l’artiste ne décèle a priori aucun mystère insondable, c’est au contraire sa démarche qui dévie les regards vers d’autres dimensions autrement plus énigmatiques. En extension de son discours antérieur, faisant suite aux séquences consacrées à l’architecture industrielle, Viola pose son regard sur ce qu’on pourrait appeler le désert urbain tout court.
A l’instar des donjons et tours de l’ère médiévale, les bâtiments à l’abandon et en ruine d’aujourd’hui sont des emblèmes d’un temps révolu. On ressent à la vue de ces immeubles éventrés, délabrés et vétustes, la fascination du déclin, l’obsession du temps qui passe. Statues solitaires situées au carrefour du passé, du présent et du futur, ces édifices condamnés à la proche démolition semblent se dresser contre leur sort inévitable, vainement mais avec toute leur ultime splendeur. Mis en vedette par l’artiste pour leur aspect esthétique indéniable, leur indicible beauté lacérée, ils s’imposent avec la force de leurs structures terriblement individuelles. De ce fait leur revalorisation anthropomorphique renvoie directement à la condition humaine sous son aspect le plus lugubre.
Si le discours se présente ainsi sans équivoque, c’est toutefois le traitement utilisé par l’artiste qui témoigne d’une démarche originale. En mêlant le matériau photographique de base à la recoloration, le collage, le graphisme et l’écrit, Viola en arrive à une nouvelle configuration du réel ou matière et pensée se conjuguent sous un mode littéralement fantastique. C’est ici que la matière se transforme subrepticement en texture.
Si le discours donc se révèle sans surprise particulière, c’est en revanche le style qui se charge se véhiculer la non-conscience vers la conscience. Fait de fragments de dessins, de lambeaux de textes, cet “emballage” artistique se compose de résidus de souvenirs, d’obsessions, de signes et de connotations d’une variété sans cesse recommencée. Cette façon dégriffée de ressaisir la fugitive réalité dans son sursaut pénultième a pour effet de nous la restituer sous une forme hallucinante, fantasmagorique et de nous toucher dans nos propres déchirures.
Viola s’intéresse aux fantômes, sans y croire assurément, mais avec toute une sensibilité écorchée qu’il entend nous faire partager avec lui. Et sans doute nos consciences sont autant sinon plus hantées par nos réminiscences douloureuses, nos blessures intérieures, que les manoirs et donjons ne le sont par de quelconques présences invisibles.
C’est le mérite de Robert Viola de nous rappeler que créer signifie aussi recréer, faire ressurgir, et surtout de nous démontrer en dernière analyse que l’art comme la vie n’est ni éphémère, ni durable, mais en perpétuel mouvement.
François Olivieri